« La vie avec Marianne » de Xaver Bayer


L’écrivain autrichien Xaver Bayer signe avec La vie avec Marianne un récit étonnant et original, dans lequel on navigue entre rêve et réalité. Article paru dans Le Temps le 5/07.

Déboussolant. L’adjectif s’impose à la lecture de La vie avec Marianne. Ce roman de l’autrichien Xaver Bayer se divise en vingt chapitres, qui sont en réalité vingt courts récits autonomes, vingt séquences de la vie du narrateur avec son amante Marianne. Dans cette narration non linéaire, les chapitres apparaissent comme les pièces d’un puzzle qui s’assemble au fil des pages pour dessiner la vie atypique de ces deux héros. Atypique car ils s’engagent sans cesse dans diverses aventures et jeux pour mieux éprouver le quotidien. Ensemble, ils aiment arpenter les brocantes à la recherche d’objets précieux pour jouir, ensuite, de leur destruction, s’amusent à ne dialoguer entre eux que par citation ou jouent à se perdre dans un stade rempli pour tester le destin et «voir s’il nous permet de nous rencontrer (…) de manière fortuite».

Ces vingt récits empruntent à l’absurde, au fantastique pour finalement nous parler de notre réel, de notre monde et de ses incertitudes, de nous-mêmes et de nos peurs. Au chapitre 13, par exemple, le narrateur téléphone, inquiet, à Marianne et lui annonce que des drones le suivent. Mais à l’angoisse succède l’attachement et alors «comment lui expliquer à distance que, depuis que les deux drones font partie de ma vie, je ne me sens plus aussi seul ?» Les drones deviennent in fine un «quelqu’un» qui «au fil du temps semble vous connaître mieux que vous ne vous connaissez». Dans une autre scène, le narrateur se retrouve coincé dans un ascenseur qui ne cesse de s’élever. Alors qu’il approche le vingt millième étage, il en vient à oublier le visage, le corps, le nom même de Marianne, comme si dans cette «éprouvante montée au ciel», l’être aimé disparaissait. Mais il n’y a, dans ce roman, aucune interprétation définitive, à chacun d’y déceler ce qu’il veut.

Chaque lecteur lit son propre livre et préférera ainsi certains chapitres à d’autres mais de l’ensemble se dégage une cohérence. D’un récit à l’autre, le lecteur perçoit des échos, l’ultime chapitre, constituant en cela l’apothéose. Dans les dernières pages en effet, le narrateur se trouve dans l’appartement de Marianne mais celui-ci s’est transformé : un long corridor dessert plusieurs pièces dont chacune rappelle l’une des 19 autres «scènes» du roman. Le narrateur doit donc revisiter tous ces épisodes pour retrouver l’insaisissable Marianne, au bout du couloir. C’est bien elle la figure centrale du roman, elle qui guide, par ses jeux et ses règles, le narrateur, tout comme le récit. Ainsi, lorsque, dans le couloir sombre, il trouve l’ultime porte et l’ouvre, il est tout de suite «ébloui» car Marianne est là, enfin. Il la serre dans ses bras et dépose un baiser sur son cou, pour la remercier, peut-être, de l’avoir sorti d’une angoissante obscurité.

Xaver Bayer, né en 1977 à Vienne, écrit depuis 20 ans déjà. Les références sont nombreuses dans La vie avec Marianne, de Kafka à Leonard Cohen en passant par ses propres oeuvres. Dans un chapitre en effet, alors qu’un froid sans fin s’est abattu sur la ville, il tente de survivre avec Marianne en brûlant un à un les objets et meubles de leur appartement. Vient le moment où il ne reste plus que les livres : le narrateur brûle d’abord ceux des autres, puis les siens : «avant que la flamme ne commence lentement à s’éteindre, je jette vite dans le poêle mon dernier livre paru, La vie avec Marianne, ouvert comme un éventail de sorte qu’il s’enflamme plus vite.» Ainsi donc, le livre que nous tenons entre nos mains, dont le narrateur affirme ici être l’auteur, ne sera bientôt plus. C’est le tour de force de Xaver Bayer dans ce roman : montrer la toute-puissance de l’écrivain. Dans la préface, son traducteur, l’écrivain français Éric Faye note à juste titre : «(ce) livre ne ressemble à rien de connu. Il faut dire que son auteur n’a pas lésiné sur les moyens, comme pour démontrer la liberté de création dont peut jouir un véritable écrivain. Et à le découvrir, on se dit effectivement que l’écrivain peut être, s’il le choisit, l’homme le plus libre au monde.»


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